Texte de Dimitri Salomon

Du catalogue "Ingres et les modernes" Exposition Musée Ingres Montauban

Stéphane LALLEMAND
Épinal, 1958 ; vit et travaille à Strasbourg
Diplômé de l’École des Arts Décoratifs de Strasbourg en 1984 (sculpture). Travaille de manière minimale des matériaux de récupération bruts issus du bâtiment. Débute en 1989 sa série « Télécran ». Se retire en 1993 de la scène artistique pour se consacrer à d’autres activités telles que la réalisation de dessins animés et le développement multimédia. Entreprend, en 1999, plusieurs nouvelles séries de travaux, photographiques cette fois, faisant se rencontrer les techniques anciennes des « primitifs » de cette discipline et la pratique contemporaine d’internet, en utilisant notamment les images crues qui y circulent parfois, arrière-petites-filles de celles qu’on échangeait sous le manteau il y a plus d’un siècle (séries des « Dessins photogéniques », des « Fruits défendus » et des « Chardons ardents »). Dans un tout autre registre, il signe en 2006 le Mémorial de la Paix installé devant le Centre Mondial de la Paix à Verdun.
Entre 1989 et 1993, Lallemand entreprend de recréer, non sans habileté et une certaine dose d’ironie, environ cent cinquante œuvres d’art (et images pornographiques !) sur Télécrans, ces jouets d’enfants inventés quarante ans plus tôt qui permettent de tracer des dessins à l’aide de deux boutons latéraux déplaçant un curseur-marqueur. Parmi elles figurent dès 1989 la Grande Odalisque et le Bain turc, une seconde version du célèbre tondo datant de 1992. Après avoir sculpté des poutres de sapin, des blocs de grès ou de béton coulé, l’artiste accepte volontiers, voire recherche, le caractère possiblement éphémère de ses productions. Avec leur apparence dérisoire, ses œuvres nient gaiement la sacralité afférente aux chefs-d’oeuvre qu’elles reformulent et se plaisent à contredire l’idée de pérennité qui devrait leur être attachée. Sur le mode de la provocation, Lallemand teste ou, plutôt, responsabilise spectateurs, galeristes et collectionneurs : car, un Télécran en main, le moindre geste brusque ou inadapté suffit à détériorer irrémédiablement son œuvre.
Les questions du rapport à l'image, de la virtuosité, de l'appropriation et de la diffusion soulevées par cette série -tout comme l’intérêt qu’il porte à Ingres !- se retrouvent dans les photographies récentes de l’artiste : en 2007, en effet, poursuivant son travail sur la représentation du corps féminin érotisé et se confrontant au modèle vivant pour la première fois, ce dernier recrée en atelier quatre célèbres nus du maître : quand une jeune femme pose, le temps d’un cliché, dans l’attitude impossible de l’Angélique, une autre arbore un effrayant et monumental tatouage de colonne vertébrale digne d’un film de science-fiction et reçoit la mission de camper tour à tour la Baigneuse Bonnat, la Valpinçon et, bien évidemment, la fameuse Grande Odalisque aux vertèbres surnuméraires. L’année suivante, Lallemand donne sa version de La Source, de la musicienne du Bain turc et de l’Odalisque à l’esclave, se mettant lui-même en scène dans le rôle de… non pas de l’eunuque mais l’esclave musicienne.
Dimitri Salmon
Collaborateur scientifique de conservation
au département des Peintures du musée du Louvre